La tournure que prennent les évènements en cette après-guerre, les révolte tous les trois. Certes, ils ne parviennent pas à oublier la barbarie de l’hitlérisme mais ils supportent mal les atrocités qu’entraîne l’épuration. Ils se veulent pacifistes, défenseurs de causes justes, soutiens des pauvres, compagnons opprimés par une société de profiteurs de guerre et d’après guerre. C’est dans cet état d’esprit d’authenticité généreuse et sincère qu’ils s’inscrivent au Parti Communiste
Dédaignant les « camarades » intellectuels, Marguerite choisit de militer dans une cellule où les ouvriers sont les plus nombreux. L’appartement de la rue Saint-Benoît redevient, comme à l’avant guerre, un point de ralliement, un refuge pour tous les amis. L’ambiance y est chaude, on boit bien , on parle beaucoup, on s’amuse, on refait le monde, un monde d’espoir, bien sûr. On y rencontre Edgar Morin, Hélène Parmelin, Elio Vittorini, Jorge Semprun, Claude Roy et bien d’autres.
Dès qu’elle se sait enceinte de Dionys, Marguerite précipite le divorce avec Robert, l’enfant doit porter le nom de Mascolo. Cette démarche n’est qu’une mesure administrative. La naissance du petit Outa - Jean pour l’état civil - n’apportera aucun changement dans la vie du trio, sinon une joie de vivre nouvelle dont l’enfant est la cause.
Marguerite semble se remettre très sérieusement à l’écriture. Alors qu’il ne lui reste que quelques pages pour terminer son roman, Théodora, elle l’abandonne pour des raisons qui restent obscures.
En cette année 1948, Marguerite est absorbée à la fois par un amour envahissant et abusif porté à son fils et par un engagement politique qui la déçoit. Communiste elle est et communiste elle souhaite demeurer toute sa vie, et pourtant elle ne peut pas adhérer à certaines décisions du P.C. Le Comité central commence à trouver le groupe de la rue Saint-Benoît bien turbulent. Au fur et à mesure que passent les semaines, la situation entre les dirigeants du P.C. et les troublions de Saint-Germain des Prés se dégrade et après mille et une péripéties, le 8 mars 1950, Marguerite Duras est exclue du parti.
Pendant ce temps Robert qui s’est épris d’une nouvelle compagne, quitte la rue Saint-Benoit. Il restera toujours un ami pour Marguerite.
Nous sommes fin décembre 1949, Marguerite Duras a trente cinq ans, il est temps pour elle de devenir une véritable femme de lettres. Elle confie à Gallimard son nouveau manuscrit Un Barrage contre le Pacifique. L’intrigue, inspirée de la malheureuse aventure cochinchinoise, a pour personnage principal une mère de famille, folle, sauvage, admirable qui se bat sans espoir contre les éléments et qui, vaincue, finira par mourir. Le livre obtient un beau succès, il est sélectionné pour le Goncourt. Les membres du jury lui préfèrent Les Jeux sauvages de Paul Colin.
Elle s'estime avoir éliminée pour être une Communiste révolutionnaire.
La vie commune avec Dionys devient difficile. On se dispute, on se trompe, on se fait des scènes, on se réconcilie pour quelques heures. Marguerite soupçonne Dionys de la tromper Elle cherche à le rendre jaloux. Un soir de réveillon, trop bien arrosé, elle s’offre sans retenue au journaliste Jacques-Laurent Bost, un des amoureux de Simone de Beauvoir. Elle tente de poursuivre cette liaison parallèle, mais cela ne marche pas, Dionys tient trop à elle et prétend souffrir. Elle accepte donc de rompre avec son nouvel amant.
Pour oublier cet accroc amoureux, elle ne connaît qu’un remède: Écrire. Elle aime se mettre en scène dans tous ses romans, créer des personnages qui lui ressemblent. ainsi publie-t-elle Le Marin de Gibraltar, les Petits Chevaux de Tarquinia, et un recueil de nouvelles : Des Journées entières dans les arbres. Couchée tard, levée tôt, Marguerite peut mener plusieurs existences. Toujours aussi mère poule, elle chouchoute son fils. Toujours aussi accueillante, elle aime préparer de fins repas pour ses amis, ouvrir une bonne bouteille et faire la fête, se réservant, néanmoins, trois ou quatre heures chaque jour pour l’écriture. Elle est gaie, elle est drôle, elle a la langue bien pendue, mais elle devient autoritaire et commence à prendre conscience de sa valeur.
Les évènements politiques vont une fois de plus perturber l’emploi du temps et les activités de Marguerite. En 1956, la guerre d’Algérie s’intensifie et les répressions policières s’étendent jusqu’en France. La chasse aux rebelles FLN se poursuit de jour et de nuit dans la capitale. Un Comité de Défense antigouvernemental se constitue parmi les intellectuels de diverses tendances. Dionys et Marguerite s’y inscrivent et sont de tous les combats. Elle fait partie de l’organisation des meetings et des défilés, elle écrit les textes de pétitions, elle cherche à joindre les membres du gouvernement et particulièrement son ami François Mitterrand, ministre de l’Intérieur. À cette situation difficile, dépendante de la politique française, s’ajoute le drame russo-hongrois. Comment peut-on encore se reconnaître l’alliée des Soviets après l’insurrection de Budapest ? Marguerite est désespérée. Elle ne s’appartient plus. Elle n’a plus une minute à elle. Elle est indisponible pour l’écriture. Ses finances sont au plus bas.
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