Accueil

7

La Peinture, autre forme de Délivrance

Depuis quelques mois, les sujets de pièces se font rares, l’inspiration semble s’évanouir ou du moins se déporte-t-elle vers une autre forme d’art et l’auteur dramatique cède la place à l’artiste peintre. Ionesco renaît. Les toiles, les couleurs lui rendent le bonheur de créer qu’il avait connu trente ans auparavant face à la page blanche. Sa première exposition à lieu à Genève et elle sera suivie de nombreuses autres. Aux cahiers de notes se joignent les carnets de dessins emportés par Ionesco lors de ses voyage en Amérique Latine , en Yougoslavie, aux Etats-Unis, en Autriche. À Vienne il reçoit le Grand Prix de la Littérature Européenne. L’artiste-peintre Eugène Ionesco est né.

En 1972, Ionesco reprend la plume pour composer, en un mois une parodie de Macbeth, intitulée : Macbett . Elle « se situe entre Shakespeare et Jarry et assez proche d’Ubu Roi ». 25 Le spectacle est joué sur la scène du théâtre de la Rive Gauche, un retour aux sources en quelque sorte. Si absurde et si drôle que se veuille la comédie, elle dénonce l’angoisse de son auteur. Pierre Marcabru ne s’y laisse pas prendre : « Derrière la farce se cache un homme peureux et qui a une vision macabre du monde ». 26

Après Macbett, ce sera, au Théâtre Moderne, la création en novembre 1973 de Ce Formidable Bordel, tiré du seul roman signé Ionesco, Le Solitaire, et mis en scène par Jacques Mauclair.

« Ce Formidable Bordel », raconte Philippe Tesson, c’est la vie, ce bric à brac monstrueux, dont on ne sait ni d’où ça vient, ni où ça va, ni comment on y va... » 27 Le personnage principal est peu bavard, il regarde, il jauge, il juge et se protège du monde. Tandis que les critiques officiels, MM. Gauthier, Kanters, Cournot, etc... sont dithyrambiques, le jeune public, celui qui a vécu les journées chaudes de 1968, s’interroge. Il est dérouté. Jusqu’alors Ionesco passait sinon pour un auteur de gauche, du moins un ennemi des dictatures, du totalitarisme, de l’intégrisme, en un mot de toutes les formes de d’asservissement et voici qu’il se montre à présent conservateur, adversaire de toute évolution. Quelle position adopte-t-il lorsqu’il fait dire à l’un de ses personnages : « ...exploitation de l’homme par l’homme, injustices sociales, carences économiques, tout cela semble bien peu pour justifier le massacre universel. Les idéologies, les revendications ne peuvent expliquer tout, elles sont bien en deçà des cataclysmes que cela produit... » ? Eugène Ionesco ne donne pas sa réponse.

Il poursuit ses voyage à Rome à Dubrovnik. Il est fait Doctor Honoris Causa à Tel Aviv et écrit une nouvelle pièce :L’Homme aux Valises. C’est la descente aux Enfers d’un amnésique à la recherche de son passé. « J’essaie cette fois, explique le dramaturge, d’employer des situations de rêve dans un langage parlé également onirique. Jusqu’ici j’avais toujours dissocié le langage de la situation. Je les réunis pour la première fois. » 28 En écoutant la pièce, on ne peut oublier les allusions au voyage d’Ulysse non plus que l’attirance de l’auteur pour les travaux de Jung sur l’inconscient. Le voyageur encombré de ses valises , personnage anonyme, c’est une fois encore Ionesco qui se met en scène, chargé de tous ses souvenirs heureux ou malheureux, les beaux jours de la Chapelle Anthenaise et l’enfer d’un Bucarest nazifié...

Après L’Homme aux Valises, il faudra attendre sept ans pour que le titre d’une nouvelle pièce soit affiché au fronton d’un théâtre.

Pendant ce temps on retrouve l’auteur au Festival de Salzbourg où il reçoit la médaille Max Reinhardt, puis, toujours accompagné de Rodica, invité au Japon, en Thaïlande, en Californie. À Santa Cruz il est reçu Visiting Professor. Il fait une tournée de conférences à Berkeley, San Francisco, Santa Barbara, Los Angeles... En dépit de tous ces voyages, il écrit de nombreux articles, des nouvelles, des essais, pour le Figaro, le Monde, l’Express. Il peint, il prépare des expositions pour des galeries de Saint Gall, Lugano, Locarno, Bâle, Athènes, etc...

Bien que fort occupé par toutes activités artistiques et mondaines, Ionesco projette d’ écrire une grande saga autobiographique pour laquelle il ne cesse de noter ses souvenirs et ses impressions, ses confessions, etc...Cet immense ouvrage ne verra pas le jour.

Fait exceptionnel, l’événement théâtral de la rentrée d’automne 1982 n’a pas lieu sur une scène parisienne, il se produit sur la station de France Culture, le jeudi le 23 septembre à 20 heures, par la diffusion de Voyage chez les Morts, signé Ionesco. Il s’agit d’un assemblage de monologues et de scènes essentiellement autobiographiques: Un vivant descend aux enfers pour régler ses comptes avec ses aïeux, ce voyageur du néant c’est l’auteur lui-même, errant à l’aveuglette dans les ruines de son passé.

Depuis plusieurs années, après ses études de lettres, Marie-France assiste son père dans ses travaux. Sur l’insistance de la jeune femme, Ionesco renoue le contact avec Roger Planchon, directeur du T.N.P.de Villeurbanne, rencontré bien des années auparavant , lorsque le jeune metteur en scène montait Paolo-Paoli d’Arthur Adamov. Après plusieurs rendez-vous, les deux hommes se mirent d’accord pour présenter Voyage chez les Morts. Contrairement à son ordinaire, Ionesco n’assiste pas aux répétitions 29 , il n’assiste pas non plus à la première représentation. Ce soir-là, il laisse à son personnage principal, interprété par Jean Carmet 30 le soin de converser en scène avec ses anciens complices Arthur Adamov et Samuel Beckett, (Alexandre et Constantin dans la pièce). Les critiques, non plus que le public, ne savent comment réagir à un tel spectacle. Les jeunes censeurs n’ont ni le respect, ni la retenue de langage que témoignent leur aînés à l’égard du Maître et ils y vont gaillardement : « Ni l’Homme aux Valises, ni Voyage chez les Morts ne sont de bonnes pièces et valent d’être représentées » 31 , « L’authenticité de cette autobiographie onirique ne prête à aucune contestation. C’est l’affabulation dramatique qui laisse à désirer. Le rêve, répétons-le avec René Clair, ne fournit pas nécessairement un bon thème dramatique » 32

Pour sa dernière pièce Voyage chez les Morts, Ionesco fait l ‘unanimité contre lui. Déclaré ou non reconnu, l’échec est évident.

25 Les Nouvelles Littéraires, entretien avec Claude Cézan, 24 janvier 1972
26 France-Soir, 3 février 1972
27 Avant-Scène N° 542.
28 Ionesco , Giovanni Lista Ed. H.Veyrier, repris dans l’édition de la Pléaïde
29 Libération , 2 mars 1983
30 La présence de Jean Carmet dans le rôle principal est une concession de Ionesco, il aurait préférer faire engager Michel Bouquet
31 La Quinzaine Littéraire Monique Le Roux, 1er avril 1984
32 N.R.F. Jeanyves Guérin, reprise dans l’édition de la Pléaïde

Haut de page

retour suite
Table des matières