Jean Anouilh raconte: « Je m’étais enfermé en Suisse dans une solitude un peu pénible. Pour faire, je crois, un article sur moi que votre journal vous avait demandé, vous êtes monté me voir, vous perdant dans le brouillard et calant dix fois votre moteur. Nous avons passé trois heures ensemble. Vous avez eu le sentiment, sans me le dire, que j’étais sans doute un peu seul, et sans doute triste sur ma montagne. Et voilà ce que vous avez fait : vous m’avez, dès ce jour là envoyé, pendant plus d’un an, tous les jours une carte postale, une curieuse carte postale 1900 dont vous aviez toute une collection, une curieuse carte postale avec un petit mot gentil ou un petit potin de Paris, dont vous vous étiez fait le chroniqueur, pour cet homme exilé. Pendant plus d’un an, tous les jours, j’ai reçu vos hiéroglyphes qu’il me fallait d’ailleurs deux heures pour déchiffrer et je n’ai jamais ( en pestant, en vous insultant, je le reconnais ) été me coucher sans avoir, Champollion d’une amitié inattendue, déchiffré intégralement votre message quotidien et illisible ». ( L’Aurore - 13 octobre 1966, à la suite de la mort de Passeur ).
Il avait reçu en 1951 le prix Henri Becque et en 1963 le grand prix de la SACEM.
Son théâtre, très particulier, dont chaque pièce relève de l’analyse psychologique, pétri de violence, d’outrage, de détresse et de paradoxes passera-t-il à la postérité ? Il est en tous cas bien oublié aujourd’hui… mais il n’est pas le seul.
Il mourait en 1966, à 67 ans, après être allé assister au Théâtre de Paris à la première du Retour de Pinter. Robert Monnange, responsable de la page spectacles de L’Aurore ( quotidien dans lequel Passeur donnait ses chroniques sous le pseudonyme du Strapontin ) traversant le hall du théâtre vers la sortie aperçoit Passeur assis sur une chaise, et manifestement mal en point. Le sachant cardiaque, Monnange, accompagné de son photographe, s’empare de Passeur et l’emmène à l’Hôpital Necker où il s’éteindra. Son dernier spectacle aura donc été une pièce de Pinter auquel il reprochait d’avoir plagié son style et sa pensée.
Un dernier clin d’œil
Dans son éternité, Steve Passeur se douterait-il qu’au XXIème siècle, un certain homme de lettres, Onésime Malibois, sorti tout droit du cerveau imaginatif d’un jeune poète, se serait permis, en 1929, d’usurper son nom pour signer l’un de ses propres succès Suzanne, joué à la Comédie des Champs-Élysées par Louis Jouvet et Valentine Tessier ? Qu’en penserait-il, lui, Passeur, l’amateur éclairé des farces et attrapes ? Se sentirait-il humilié ? Ou, au contraire, en éprouverait-il une certaine fierté ?
En effet, dans le but de faire sortir de l’ombre les seconds rôles en littérature, d’après lui injustement oubliés, Jean-Marc Ruquier crée un canular en inventant le personnage d’Onésime Malibois, qu’il dote d’une biographie fournie, dans laquelle on apprendra que son héros a collaboré avec Cocteau, Colette, Breton, Aragon, et qu’il a même, sous le pseudonyme de Steve Passeur, écrit Suzanne !!!